Christoph Theobald, Editions Bayard, 540 p.
Le projet du livre de Christoph Theobald est d’inciter l’Église à retrouver un dynamisme missionnaire. Et cela passe par une réforme, un combat spirituel qui « porte sur la capacité des chrétiens et de leurs Églises à mettre l’Évangile du Règne de Dieu à la disposition de toute l’humanité et de toute la terre comme ‟ressourceˮ salvatrice, au moment où les hommes et femmes habitant sur notre planète se trouvent confrontés à des défis d’une ampleur inédite » (p. 13).
L’auteur, dans une première partie intitulée « S’asseoir… Diagnostic du moment présent » nomme et met en perspective quelques-uns des défis actuels : montée de l’islam, extension des zones de pauvreté, intensification des flux migratoires, crise écologique, évolution du rapport à la mort, fantasmes du transhumanisme… De nouvelles manières d’habiter le monde se cherchent, marquées par une exigence de respect de l’autonomie personnelle, un souci aigu de la qualité de l’existence quotidienne, le sens d’une solidarité fraternelle large, la conscience que nous sommes devant des échéances cruciales pour l’avenir de notre planète. Beaucoup – des jeunes notamment –, conscients de ce qui est en jeu, sont prêts à s’engager et à payer de leur personne. Il y a ici un potentiel de créativité insoupçonné. Or la « proposition de sainteté » que l’Église donne à percevoir rejoint difficilement ces aspirations nouvelles. À tort ou à raison, elle est perçue comme légaliste, abstraite, trop préoccupée de sexualité ; elle parvient mal à donner à goûter ce qu’elle porte en son cœur, « à savoir la gratuité du don de la vie » que l’on peut à son tour « engager librement et gratuitement » (p. 84).
Pour Christoph Theobald, cela incite à redécouvrir un trait majeur du Christ : son existence est marquée de part en part par l’hospitalité. Son accueil de la vie comme don gratuit ouvre un espace pour chacun qui se voit ainsi remis en chemin, promis à une nouvelle genèse ; en réponse, certains engageront à leur tour leur vie sur ce mode gracieux. Cette vision de la mission du Christ qui, à la fois, se confronte aux réalités les plus dures et ouvre à de nouveaux commencements, inaugure une manière d’habiter le monde capable de résonner avec les urgences de l’époque et de faire pièce aux tentations du cynisme, du fatalisme ou du repli narcissique.
Or, un aspect important de l’affaiblissement de l’Église catholique (peut-être son principal problème) vient, selon l’auteur, de sa difficulté à prendre vraiment au sérieux sa propre source – cet évangile de l’hospitalité – et à se laisser renouveler, transformer par elle. Souvent encombrée par le souci de sa propre perpétuation, elle a bien du mal à laisser l’Esprit donner naissance à des figures nouvelles. Elle parvient difficilement, par exemple, à penser la communauté chrétienne plus largement que selon le mode paroissial, construite autour du ministre ordonné et accaparée avant tout par les services religieux (funérailles, baptêmes, mariages). Christoph Theobald, soucieux de l’enracinement local de l’Église, propose de « laisser advenir de véritables communautés sur place » qui soient « sujets collectifs » et « missionnaires pour leur environnement » (p. 324). Cela suppose aussi de passer à une nouvelle figure du pasteur, « passeur » plutôt que « pivot » (p. 329-332), autrement dit, quelqu’un dont la mission soit moins celle d’un chef d’orchestre obligé de veiller à tout, que celle d’un ministre soucieux du déploiement des charismes de chacun et de leur heureuse conjonction au service de l’Évangile, quelqu’un qui soutienne, relance, réconcilie, mette en relation, aide à entendre les appels et à y répondre. Une telle figure de pasteur ne reste pas longtemps seule, elle suscite d’autres ministères. L’auteur en nomme quelques-uns : autour de la gouvernance des communautés locales, au service de la Parole (catéchèse, liturgie, groupes bibliques) ; il esquisse aussi un « ministère d’hospitalité » qui serait responsable de l’ouverture de la communauté, de sa capacité d’accueil et de son intérêt pour son environnement (p. 336).
En somme, la proposition de Christoph Theobald est une invitation pour l’Église à se laisser questionner par ce que vivent nos contemporains, avec la confiance que, de cette rencontre, ne peut surgir qu’un surcroît de vitalité évangélique. Bien sûr, les axes ainsi ouverts sont faits pour être débattus (pour ma part, je serais enclin à insister davantage sur une présence prioritaire à ceux qui vivent des situations de grande détresse, ce qui permet de mieux honorer, je crois, le rendez-vous pascal de la vocation chrétienne).
Eh bien, avec tout cela, il y a de quoi faire un concile de l’Église de France, non ?
Étienne Grieu sj