Echo de l’Université des lecteurs du journal La Vie à Najac (octobre 2024)
« La marmite qui milite »
aurait pu être le titre de l’Université qui vient de réunir 243 lecteurs du journal La Vie à Najac dans l’Aveyron (dont 23 personnes de l’Isère) du 15 au 19 octobre 2024.
En fait, il s’agit du titre d’un livre de Hélène Leclerc, une des intervenantes à cette session, un titre assez bien ajusté aux enjeux de cette Université
intitulée précisément : « Se nourrir demain. Produire, consommer, partager : des équilibres à trouver ». Il s’agitautrement dit, du grand thème de l’alimentation : une activité quotidienne banale, mais devenue aujourd’hui un sujetmajeur. Les enjeux sont multiples. Qu’il s’agisse de la faim, de la malnutrition, de la situation des agriculteurs, de la dégradation des ressources naturelles, de la sécurité alimentaire mondiale, de la manière dont les religions s’intéressent à notre assiette…, autant de sujets qui ne peuvent laisser indifférent ou passif.
Comme à chaque Université des lecteurs du journal La Vie (c’était la 22ème), le déroulement est toujours très riche et varié, bousculant les neurones et suscitant débat et réactions. Thèmes et échanges sont passés du global au local, de l’analyse à l’expérimentation, des réflexions politiques aux perspectives spirituelles, de l’histoire des plaisirs de la table au panorama de la faim dans le monde et chez nous, de l’injuste prix de notre alimentation aux coûts pour la survie des producteurs et de la planète…
Tout a commencé avec Louis Georges Soler (directeur scientifique à l’INRAE) sur « les enjeux pour la sécurité alimentaire mondiale » et avec Sylvie Matelly (directrice de l’Institut Jacques-Delors) sur la PAC et le Pacte vert. Puis une plongée sur le terrain avec deux chargés de mission du « Plan Alimentaire Territorial de l’Ouest-Aveyron », oeuvrant à la transition des systèmes agricoles et agroalimentaires locaux : un sacré maillage entre producteurs, transformateurs et consommateurs prometteur.Et pour finir, en soirée, le film « Les femmes de la terre » d’Edouard Bergeon, qui bouscule notre vision des travailleurs agricoles.
Le lendemain, changement de regard et d’angle d’attaque pour manifester que « l’homme ne vit pas seulement de pain » : parce qu’il y a toujours eu des personnes poussées par l’ascèse, le jeûne. Les religions y sont pour quelque chose. Mais d’autres courants prennent le relais. Qui jeûne aujourd’hui ? Et pourquoi ? Qu’en est-il de l’appel à la sobriété ? Isabelle Jonveaux (sociologue des religions à Lausanne) s’est faite l’écho de ces démarches. Tout à l’opposé, Florent Quellier (historien, professeur à l’Université d’Angers) a régalé son auditoire en évoquant la bonne chère, les plaisirs de la table et la convivialité en Occident tout au long des siècles passés.
Puis vint la réflexion biblique savoureuse servie par Philippe Lefebvre (dominicain, professeur à l’Université de Fribourg). Goûtez le titre de sa prestation : « Parole succulente et messies mangeables. Parcours d’oralité dans l’Ancien et le Nouveau Testaments ». La Parole sortie de la bouche de Dieu veut entrer dans notre bouche pour être mangée. Cette Parole investit très tôt des messies présentés comme des humains mangeables. N’est-ce pas le rite de la communion auquel le Christ nous invite ?
Autre versant de l’alimentation : les démarches de solidarité toujours plus nécessaires. D’abord avec l’exemple du CCFD-Terre solidaire luttant avec ses partenaires contre les causes de la faim. Puis avec l’anthropologue David Glory (Université de Bordeaux), qui suscite des équipes de volontaires sur le terrain pour développer un droit à l’alimentation à travers l’émergence d’une « Sécurité sociale de l’alimentation ». A la base, il y a ce constat : « En France, on ne meurt pas de faim, mais on peut ne pas pouvoir choisir son alimentation ». Cette expérience d’une Sécurité sociale de l’alimentation, qui se déploie à travers un système de caisse, de cotisations et de conventionnement, est déjà bien implantée à Bordeaux, à Montpellier et démarre à Grenoble…
Puis, cerise sur le gâteau, Elena Lasida (professeur d’économie, bien connue des Amis de La Vie) appelle à passer d’une nourriture-besoin à une nourriture-relation. Ce passage est déjà bien engagé par les actions déployées dans le cadre de l’économie sociale et solidaire telles que les AMAP, le commerce équitable et les « Petites Cantines ». De telles pratiques montrent bien que l’alimentation est le carrefour de tous les éléments du vivant. Une invitation à
faire preuve de gratuité, de créativité et de joie.
Pour finir, un conseil. Si vous passez un jour en Aveyron, ne ratez pas Najac, un village médiéval très singulier avec une forteresse royale du XIII° siècle, donnant la mesure de la politique de dissuasion de l’époque, au milieu de belles forêts de chênes et de châtaigniers. Un beau cadre pour apprendre à « manger en pleine conscience », avec délectation !
Philippe Mouy