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Bonne lecture et bonne réflexion

Interview de Nicolas Truelle

Dans une série d’interviews des membres de Promesses d’Eglise, nous donnons la parole aux représentant(e)s des mouvements et communautées constituant ce collectif

Aujourd’hui Nicolas Truelle qui est Directeur Général des Apprentis d’Auteil et membre de promesses d’Église

Vous trouverez en cliquant ci-dessous l’interview de Nicolas Truelle

Entretien avec Mgr Pascal Wintzer

Mgr Pascal Wintzer est archevêque de Poitiers. Il a répondu aux questions de Mme Dominique Quinio sur son texte paru dans la collection “tracts” des éditions Gallimard

Le collectif Promesses d’Église s’est mis en route à la suite de la lettre du pape François qui demandait au Peuple de Dieu, en réponse à la terrible crise des abus, de participer à la transformation ecclésiale et sociale dont le monde a besoin. Dans votre texte publié dans la collection Tract de Gallimard, vous rappelez que l’Église est certes le corps du Christ mais qu’elle est aussi une institution humaine. Il n’est donc pas sacrilège de vouloir la transformer ?

Nous devons nous replacer dans l’Histoire. Je pense que le Concile Vatican II a avant tout voulu souligner l’Église comme un mystère pour rééquilibrer une théologie des 18è et 19èsiècles, où l’Église était surtout présentée comme une société parfaite, l’aspect institutionnel était donc valorisé. Il faut que les textes soient interprétés sur la durée : ce qui a été dit à Vatican II n’oblitère pas tout ce qui a pu être dit auparavant sur l’aspect organisationnel. Il nous faut regarder l’Église à la fois comme mystère, réalité voulue par Dieu, mais aussi comme institution. Tout n’est pas intangible dans la vie de l’Église : on le constate dans le temps de l’histoire mais aussi dans l’espace. C’est un héritage de Vatican II :une vie d’Église peut être diverse selon les lieux. On a avec François un pape qui vient d’un autre continent et qui a une autre culture. On pensait que l’Église était européenne partout ; ce n’est pas le cas et c’est cela que je mets derrière l’idée que l’Église est aussi une institution, un signe inscrit dans l’histoire et dans l’espace et qui, de cette manière là est plastique, si j’ose dire.

Pourquoi est-il urgent et nécessaire de travailler aujourd’hui sur cet aspect institutionnel ?
Les abus de toutes sortes manifestent que les formes institutionnelles de l’Église ont failli. Les crimes et les délits ne sont pas seulement le fait d’individus (l’ampleur en a été montrée par le rapport de la Ciase) : les formes institutionnelles n’ont pas été aptes à protéger les personnes victimes, ni à changer les pratiques et comportements. La seule conversion individuelle ou la seule mise à l’écart des personnes déviantes –objectivement il y en a – ne suffiront pas. La tentation serait d’oublier tout ce qui s’est révélé comme défaillance institutionnelle et de s’en tenir aux cas particuliers.

Dans cet objectif de transformation, quels seraient les pas prioritaires à accomplir ?
C’est vrai partout, et dans l’Église aussi : il est nécessaire que les gens ne travaillent pas seulement avec des personnes qui leur ressemblent ou qui partagent les mêmes idées. Dans les groupes de délibération et de décision – chez nous les conseils épiscopaux, paroissiaux …- les règles de composition doivent assurer une vraie diversité des personnes ; c’est la garantie que des paroles, des regards divers puissent se croiser. Bien sûr, il y a des moments où les décisions sont prises, mais il est important que les contradictions aient été portées, qu’il y ait eu confrontation.

Mais sait-on, dans nos communautés, oser porter la contradiction ?
Cela passe par des procédures : ce n’est pas attenter à une personne, à son autorité que de prononcer une critique. C’est ce qu’on a vécu dans les groupes de travail mis en place après la Ciase auxquels des évêques participaient : des groupes diversifiés menés par des personnes qui avaient des compétences d’animation de tels groupes. Nous avons mené un vrai travail avec des personnes n’ayant pas les mêmes idées, avec des victimes…

Dans votre texte de Tract, vous utilisez des mots comme contre-pouvoir, contrôle, évaluation
Pour les évêques, la nécessité d’une évaluation, d’un contrôle, c’est un des points que l’on a votés. On a

souhaité que cela se fasse pour les prêtres, aussi.


Qu’entendez-vous par contre-pouvoir ?

Cela a été vécu avec les groupes de travail post-Ciase. Les évêques présents ont entendu des paroles venant
d’autres qu’eux-mêmes. Les paroles ou les propositions n’émanaient pas d’eux seuls.

Mais qui décide ?
A qui revient la décision ? Elle est revenue aux évêques seuls. Or, le pape François a donné un droit de vote à

tous les participants (dont des laïcs, des religieuses, religieux) au synode des évêques sur la synodalité de

l’automne prochain. D’autres, dans nos assemblées d’évêques, pourraient avoir un droit de vote.

Vous ne voulez pas d’évêques qui décident tout. Et vous évoquez la possibilité de ne porter la charge
de diriger un diocèse qu’un certain temps.

C’est peut-être un ressenti trop personnel ; il y a besoin de renouvellement dans les responsabilités. Ce ne

serait pas aberrant pour un évêque de retrouver une autre mission. C’est déjà vrai pour certains d’entre nous,

mais ceci s’exprime à l’occasion de crises, et certains des évêques n’ont pas retrouvé de ministères très

définis. Il ne faut pas attendre la crise. La mise en place de l’évaluation du ministère épiscopal permettra cela,

je l’espère. Cela suppose de regarder autrement l’épiscopat. Ce n’est pas un Graal, mais un service que l’on

rend ; un évêque peut rendre d’autres services à l’Église. Cela touche aussi des prêtres qui veulent exercer un

autre ministère que celui de curé de paroisse.

Vous parlez de Graal ? Certains s’interrogent sur le caractère sacré du sacerdoce.
Je pense qu’un des facteurs qui a contribué à la crise des abus, c’est l’image ou le rôle sacré du prêtre, qui

serait au-dessus, à côté, dans une forme d’humanité exceptionnelle. Le célibat, d’ailleurs
contribue à cela (je
ne le remets pas en cause, je l’ai choisi), à l’idée d’une humanité à part. L’humanité est la même pour tout le

monde. S’il y avait de prêtres qui ne sont pas célibataires, cela mettrait un coin dans cette idéalisation de la

figure du prêtre.

Qu’est ce que vous attendez des laïcs
Un rôle d’opinion politique catholique. Il y a des lobbys dans le catholicisme, des groupes traditionnalistes qui

n’ont pas peur de se manifester sur des réseaux, des sites. Il est dommage de laisser la parole à ces seuls

groupes qui savent faire pression.

Pouvons-nous revenir sur la dernière assemblée plénière des évêques. Certains laïcs participants ont été
déçus, frustrés.

Oui, ce fut une grosse déception. Étant de l’intérieur, je ne m’attendais pas à monts et merveilles. Mais c’est

une question ecclésiologique : comment conçoit-on le rôle de la conférence des évêques ? En France, nous

insistons sur le fait que chaque diocèse est une Église pleine et entière. La conférence est pensée comme un

lieu de concertation et pas un lieu de décision.

Il n’y pas d’Église de France, il y a une Église en France. Ce n’est pas le cas dans d’autres pays européens

comme l’Allemagne ou la Belgique où il y a moins de répugnance à avoir une conférence épiscopale

décisionnelle pour l’ensemble de l’Église du pays. Nous sommes trop dépendants, au sujet des conférences

épiscopales, de la compréhension, à mon avis restrictive, qui vient de Jean Paul II et de Benoit XVI. De ce fait,

on a voté a minima, renvoyant les décisions aux diocèses. Donner plus de poids à la Conférence, ce serait aller

vers une communion, pas seulement affective comme on dit, mais effective, plus contraignante, avec des

règles et des procédures, bien sûr.

Pensez-vous qu’une majorité d’évêques partage votre avis ?
Je ne crois pas. Nous craignons de ne plus être maîtres dans nos diocèses. Certains, bien sûr, font bouger les

choses à l’intérieur de leur diocèse, mais ceci reste trop lié à nos personnalités, à nos théologies, nos

ecclésiologies et cela explique cette disparité que l’on constate dans notre pays.

De même, beaucoup de laïcs ont regretté que ne soit évoquée qu’une assemblée synodale tous les trois ans,
où chaque évêque viendrait avec ses deux laïcs

Il y aura une assemblée synodale tous les trois ans. On pouvait espérer autre chose, selon cette idée que

Lourdes pourrait être plus qu’une seule assemblée d’évêques. L’évêque est là au nom de son Église et elle doit

se manifester au-delà de sa seule présence. Mais ce n’est pas cela que nous avons voté.

L’Église à la rencontre de l’autre

Laurent Villemin

L’Église à la rencontre de l’autre.

Textes rassemblés et édités par Gilles Routhier et François Moog, Cerf, « Unam sanctam. Nouvelle série », 344 pages, 24 €.

Ce livre offre un accès renouvelé à l’œuvre du grand ecclésiologue français, Laurent Villemin, décédé en 2017, en rassemblant une série de textes remontant jusqu’au milieu des années 2000. Le titre signale le fil conducteur de sa réflexion sur l’Église : une Église à la rencontre de l’autre, en dialogue – le dialogue œcuménique tenant une place centrale. L’« Introduction générale » de Gilles Routhier et François Moog met bien en lumière la visée prospective de ces textes qui ouvrent un « chantier en ecclésiologie », en dialogue avec les sciences sociales, Villemin ayant eu une formation initiale en sociologie. À ces titres, l’ouvrage est important pour penser la réforme de l’Église dans le contexte actuel de crise des violences sexuelles. Dans le foisonnement de cette pensée nuancée, l’on peut retenir l’attention à la paroisse, qui demeure un « pôle de repère et de visibilité » pour les non-pratiquants et les non-croyants, ou aux nouveaux mouvements ecclésiaux qui ne doivent toutefois pas se considérer comme « le tout de la vie ecclésiale ». L’auteur relève encore le rôle de la synodalité pour concevoir le ministère épiscopal davantage en relation avec le Peuple. Particulièrement marquant est son appel à la constitution d’une « opinion publique ecclésiale qui constitue le fruit d’un discernement de l’Esprit et non l’imposition de l’opinion de la majorité par une sorte de domination politique ». Dans cet esprit, il souligne également la place des médias, qu’il y aurait lieu d’approfondir encore davantage en théologie, dans la constitution de cette opinion publique.

Agnès Desmazières

Le Dieu qui ne compte pas

 

Étienne Grieu

Le Dieu qui ne compte pas.

À l’écoute des humiliés et des boiteux.

Salvator, 2023, 206 pages, 20 €.

À partir d’un ensemble de travaux menés par un groupe de théologiens auprès des plus pauvres dans notre société, Étienne Grieu montre la proximité entre « ceux qui ne comptent pas dans la société » et « le Dieu qui ne compte pas », puisqu’il a préféré donner sa vie pour sauver sa Création. L’écoute et la relecture des expériences spirituelles des plus démunis mettent en évidence que ceux-ci se reconnaissent spontanément dans cet homme de douleurs qu’est le crucifié. En l’absence de sécurité matérielle ou relationnelle dans la vie, leur foi jaillit avec une spontanéité qui, à elle seule, est rafraîchissante pour tout croyant. Mais le livre va plus loin. Il montre, à partir d’une solide analyse biblique, que la présence des pauvres et des humiliés est indispensable à l’annonce de l’Évangile. C’est dans la rencontre avec des aveugles, des paralysés, des lépreux ou même des possédés que Jésus va répondre et agir. Son attitude à l’égard de tous ces malheureux empêche les disciples de s’enfermer dans un confortable entre-soi avec le Christ et leur révèle la véritable portée de son message. Mieux, c’est l’interpellation des plus pauvres qui permet aux disciples de se former à l’école de Jésus qui, inlassablement va réintroduire tous les exclus dans la famille humaine. Hier comme aujourd’hui, le message de l’Évangile passe donc par la place faite aux pauvres et aux humiliés. Une constatation lourde de conséquences pour l’Église qui est appelée à un véritable déplacement pour devenir une Église pauvre pour les pauvres, déplacement salutaire aussi pour nos sociétés où règnent les rapports de force et de compétition. C’est un appel à tout chrétien à découvrir ce Dieu qui ne compte pas et qui peut encore changer la face du monde.

Monique Baujard

Frédéric Mounier, réflexion sur le travail post-CIASE

Frédéric Mounier est le coordinateur des groupes de travail post-CIASE de la CORREF. Pendant tous ces derniers mois, il a accompagné les différents groupes et leurs pilotes. Le 12 avril 2023, il a présenté devant l’assemblée générale de la CORREF ses réflexions. 

Etant personnellement et professionnellement, depuis trente ans, « observateur » loyal et fidèle de l’Eglise, je vous remercie de m’avoir admis, durant cette année, à partager et coordonner vos réflexions « post-CIASE ». Voici quelques remarques, aussi partielles que partiales, et plutôt impressionnistes qu’analytiques.. De simples impressions personnelles, ouvertes au débat, n’engageant que moi. Comme un miroir tendu aux travaux de vos groupes..

J’ai noté…

Votre assiduité, quasiment toutes traditions confondues, à ces rencontres, même après les coups de massue successifs des « affaires » : Santier, Ricard, Grallet, Rupnik, et d’autres à venir.. Elle dit la profondeur de vos engagements.

La facilité d’échanges de paroles entre les traditions de la vie consacrée, ainsi qu’entre hommes et femmes (ce qui n’est pas si courant dans l’Eglise), et bien évidemment avec les personnes victimes.

Vos larges convergences de vues, vos problématiques partagées avec lucidité, voire avec un véritable appétit pour ces échanges. Comme une catharsis ?

Les nombreux échos transversaux, tant entre les groupes qu’en résonance avec les basculements anthropologiques de la vie en société : corps, autorité, argent.. Vous êtes bien de ce monde..

Le bon fonctionnement de votre « démocratie capitulaire ». Vous êtes habitué(e)s à voter, à réfléchir ensemble pour trouver des convergences. Vous savez que vos pouvoirs et contre-pouvoirs sont limités dans le temps et dans l’espace. Vous m’avez paru plus souples que la « monarchie épiscopale ».

Tous ces constats, évidemment, sont à lire, au regard du « mur de sable » qui, à mes yeux, a semblé enrober la récente assemblée plénière des évêques. Dans un contexte, pour une fois non dramatique, le dossier des abus a été comme banalisé, à l’instar de tant d’autres dossiers lourds que les évêques doivent gérer dans une immense fragilité, en hommes, en ressources tant théologiques que financières.

A Lourdes, il m’a semblé que le tsunami des abus s’est doucement enfoncé dans le mur de sable, construit par ceux qui préfèrent le cabotage confortable entre nos petites îles rassurantes, au détriment d’une traversée vers le grand large. Et Dieu sait s’ils sont nombreux, ceux qui considèrent que la crise des abus n’est qu’une infection virale relevant d’un simple traitement médicamenteux, et non pas d’un cancer récidivant relevant d’une chimiothérapie.

J’y reviendrai…

Vos constats communs :

Vous vous accordez sur le caractère systémique et massif des abus, commis sur des mineurs et majeurs vulnérables, entendus au sens large : emprise, abus de conscience et de pouvoir. Vous constatez que ces abus se poursuivent, et qu’ils agissent tels des métastases au sein de l’Eglise.

Vous avez conscience de votre effondrement démographique en Europe, et de votre bascule démographique vers les Suds, avec d’autres rapports à l’autorité, à l’argent, au corps, à la vie privée. Vos travaux de ces derniers mois seront autant de legs pour l’avenir.

Vous constatez, face à la crise des abus, mais aussi en d’autres domaines, la solitude et le désarroi des supérieurs, religieux ou évêques. Avec une inquiétude reprise par JM Sauvé : « Si le système déraille par la tête, il n’y a plus de régulation possible. »

Vous êtes attentifs aux appels de la société civile, notamment en faveur du respect intangible dû aux droits et libertés personnelles, inaliénables même derrière vos murs. C’est ainsi que vous appelez à une reformulation des titres des responsables, porteurs, en eux-mêmes, d’abus potentiels.

Vous pointez les dégâts et les dangers liés aux exclaustrations, autonomisations, mises en orbites personnelles. Elles conduisent à l’éloignement des règles et des garde-fous (et « garde-folles ») de la vie commune.

Vos souhaits communs :

Ces différents points seront, évidemment, repris, au fil de la présentation des conclusions des groupes de travail….

Vous souhaitez rester fidèles à la vocation subversive des conseils évangéliques. Mais vous vous interrogez, à juste titre, sur leurs modalités contemporaines..

Vous souhaitez mettre en œuvre, enfin, et cette fois-ci en profondeur, les procédures qui garantissent les spécificités démocratiques de la vie consacrée (par exemple la séparation des pouvoirs) et spirituelles (par exemple affirmer le libre choix des confesseurs et accompagnateurs).

Vous souhaitez revitaliser les visites canoniques. Trop souvent, vos cadres institutionnels ont été insignifiants, voire impuissants. Vous voulez « redonner voix aux chapitres », « conserver la dimension critique des Conseils ».

Vous souhaitez que vos autorités gagnent en redevabilité, qu’elles se mettent en position de rendre compte.

Vous ne voulez plus euphémiser la gravité des gestes incriminés. Il ne s’agit pas (seulement) d’atteintes au sixième commandement, mais, possiblement, de crimes.

Vous souhaitez faire confiance à des tiers pour sortir des entre-soi asphyxiants, voire morbides. Ceci tant dans les domaines opérationnels (soutien juridique, psy, coaching) que pour re-construire les formations, les supervisions, les visites, etc..

Vous voulez mettre en commun tous les outils disponibles pour la lutte contre les abus, aujourd’hui trop éparpillés et pas toujours accessibles aux supérieurs et institutions en désarroi.

Vous avez repéré la perversité du « gyrovaguisme » : vous souhaitez y remédier par un suivi écrit et soigné entre communautés.

Vous avez compris que des règles « garde-fous », même de qualité, même rénovées, ne peuvent pas toujours être mises en œuvre par des institutions ultra-fragiles (moyens humains, financiers, opérationnels) et surtout réduites, de facto, à l’entre-soi.

Tout en haut de la pyramide, Rupnik a survécu à travers tous les dispositifs revus et corrigés tant par Benoît XVI que par François. Et le P. Zollner a démissionné, épuisé par neuf années de lutte contre le « mur de sable » vaticanesque..

En bref, vous vous refusez à vous cantonner à refaire la peinture d’un navire qui coule, voire à seulement écoper ses voies d’eau. Vous n’êtes pas l’orchestre du Titanic. Mais vous ne souhaitez pas en rester à vous lamenter sur le sort d’une Eglise, qui serait la lumière résiduelle d’un astre mort, à l’instar des (anciens) partis politiques. Vous savez qu’il vous revient de relever d’un véritable cancer, et non d’une simple infection passagère…

Tous et toutes, vous insistez sur la nécessité de tenir à jour, et de transmettre à qui de droit au fil des mandats, des archives écrites.

Certains d’entre vous appellent à une dissolution rapide des communautés déviantes, à un moratoire des entrées dans les communautés problématiques, à un moratoire de la création de nouvelles communautés. Là où le secret a rendu possibles les délires gnostiques, voire érotico-mystiques. En ces lieux, de la croyance, on est passé à la crédulité…

Comment vos horizons se donnent à voir

Ces mots ne sont pas les miens, mais ils pourraient être les vôtres, tels que je les ai entendus.. :

P. Thomas Halik, théologien tchèque et sociologue des religions. Extrait de son « introduction spirituelle » à l’Assemblée synodale européenne (Prague, 5-12 février 2023).

« Pour devenir une voix crédible et intelligible à une époque de pluralité radicale, l’Église doit subir une réforme profonde (…) Les abus sexuels jouent pour moi un rôle similaire à celui des scandales liés au commerce des indulgences, juste avant la Réforme. Au début, les deux phénomènes semblaient marginaux. Or tous deux ont révélé des problèmes systémiques beaucoup plus profonds. Dans le cas du commerce des indulgences, il s’agissait de la relation entre l’Église et l’argent, l’Église et le pouvoir, le clergé et les laïcs. Dans le cas des abus sexuels, psychologiques et spirituels, il s’agit de la maladie du système que le pape François a appelée « cléricalisme ». Il s’agit avant tout d’un abus de pouvoir et d’autorité.(…). L’identité et l’authenticité du christianisme résident dans la participation au drame de Pâques – le mystère de la mort et de la résurrection. Beaucoup de choses dans l’Église doivent mourir pour que la résurrection ait lieu – et la résurrection n’est pas une « réanimation », un retour en arrière, mais une transformation radicale. »

Au-delà des groupes de travail..

Vous envisagez, pour les trois vœux, une nouvelle compréhension/ grammaire / vocabulaire…Ce travail sera probablement à l’ordre du jour de votre prochaine AG.

Car vous réfléchissez sur la nature et les formes de la vie consacrée demain. Le mot « Aggiornamento » flotte dans vos airs.. Mais pas n’importe comment : vous savez bien que certains ne voient en vous que des colocations militantes pratiquant le « no sex, no kids » ….

Vous vous interrogez : le catholicisme, dans ses fondations impériales, puis tridentines, sacerdotales et territoriales, ne se prête-t-il pas singulièrement aux abus de tous pouvoirs ?

JM Sauvé appelle à dissocier l’ordination et l’ordre des pouvoirs de gouvernance, qui peuvent être partagés avec un laïcat toujours plus compétent et engagé (pour ceux qui n’ont pas détalé devant l’ampleur de la crise..). Ce laïcat ne s’en laissera plus compter.

Le pape François ouvre de telles portes, tant dans « Praedicate Evangelium » qu’à travers l’ouverture progressive de ministères institués, sans oublier le courant d’air possible du Synode. Ce même courant d’air qui balaye actuellement l’Eglise d’Allemagne, dont nul ne peut dire si cela sera pour le meilleur ou pour le pire..

Plus largement, j’ai entendu au cœur de vos débats que trois piliers devront probablement être revisités, là où les poutres craquent, là où les nerfs sont touchés à vif :

La théologie du sacerdoce (masculin, séparé, d’accès interdit, gouvernant),

La théologie des sacrements (confession, eucharistie),

La morale sexuelle (d’une morale des normes à une pratique pastorale à l’écoute des consciences et des fragilités, des chemins qui restent à parcourir).

Sur la place des femmes, vous êtes, évidemment, à l’avant-garde de la grande mutation à venir. Pour l’heure, vous semblez sages et fidèles. La prochaine explosion de la révélation de l’exploitation des religieuses par les clercs vous mènera-t-elle de l’avant-garde muette à l’avant-scène exigeante ?

Une extrême attention devra être portée à la réception par la grande diversité des « peuples » au sein de l’Eglise. Durant cette crise des abus, la tentation du « déni après le dégoût » est forte. Quitter une Église d’Ancien Régime, encore vivace par endroits, pour animer une Eglise de diaspora, redessinée en archipels, à l’aide de théologies revisitées, demande courage et détermination. L’unité de l’Eglise catholique n’est plus un donné.

De même, dans la diversité de vos communautés, on pourra constater une fracture paradoxale entre celles qui, bien que demandeuses de purification et de mise aux normes « anti-abus », n’en auront ni les moyens ni les outils ; et celles qui, bien que riches en tout, ne voudront à aucun prix se soumettre à de telles normes, au motif qu’elles viendraient porter atteintes à leurs libertés, pourtant souvent bien asservissantes..

Sans oublier la majorité des petites communautés, aussi fragiles qu’épuisées, parfois en voie d’extinction..

Une question fondamentale pour l’avenir : la Corref ne disposant d’aucun pouvoir de contrainte, comment allez-vous faire bouger l’immense vaisseau, craquant de toutes parts, de la vie religieuse ? Comment éradiquer les cellules cancéreuses, qui favorisent les abus ? Comment aller au-delà du « whishful thinking », des vœux pieux, en évitant d’enfoncer des portes ouvertes ?

Et permettez-moi de terminer cette intervention sur une note vaticane. Car vos réflexions s’insèrent évidemment dans un corps plus grand que le vôtre…

Après dix ans de pontificat, François, comme vous, se trouve à la croisée des chemins.

Son mode de gouvernement est questionné : appelant urbi et orbi à emprunter des chemins synodaux, il gouverne pourtant de façon aussi imprévisible que solitaire, à coups de motu proprio..

Ses thématiques favorites (la préséance due aux pauvres, aux migrants, aux périphéries ; le pivot essentiel de l’écologie) alimentent de forts courants d’opposition, tant frontales que par inertie.

Son souhait de laisser libre cours à l’expression des cultures locales pourrait bien favoriser les tendances centrifuges au sein de l’Eglise, notamment en matière de morale privée.

Au total, certains lui prédisent soit le destin de Louis XVI, soit celui de Gorbatchev..

Prions pour qu’en bon jésuite, il trouve les voies d’un sage discernement.

Et vous aussi pour l’avenir de la vie consacrée.

Frédéric Mounier 

pour en savoir plus sur l’assemblée générale de la CORREF, voir sur leur site

Interview de Guillaume Nicolas

Dans une série d’interviews des membres de Promesses d’Église, nous donnons la parole aux représentant(e)s des mouvements et communautées constituant ce collectif

Aujourd’hui Guillaume Nicolas qui est délégué général de la DCC

Vous trouverez en cliquant ci-dessous l’interview de Guillaume Nicolas