Comment aider les victimes d’abus dans l’Église ? La réponse est loin d’être simple, tant la souffrance est immense et peut détruire jusqu’à la confiance la plus élémentaire dans la vie. L’accompagnement des victimes relève de la responsabilité des communautés chrétiennes. Non pas pour le soin spécialisé qui revient au corps médical, mais pour l’accompagnement humain, la reconnaissance, le soutien, la bienveillance, les gestes fraternels du quotidien.

Alors que les évêques vont prochainement examiner les suites du rapport de la CIASE, nous publions le témoignage d’une victime qui s’est adressée à Promesses d’Église et qui souffre justement de ce manque de reconnaissance et de soutien, qui se sent ignorée des catholiques de son diocèse. Elle met en garde contre la volonté de certains dans l’Église de trop vite tourner la page et nous adresse une demande pressante de ne pas laisser les victimes sur le bord du chemin. Une demande qui s’adresse à chacun d’entre nous.

Promesses d’Église s’est constitué suite à la Lettre au Peuple de Dieu du pape François d’août 2018, écrit dans le contexte du scandale des abus sexuels. La prévention des abus et le soutien des victimes restent au cœur de nos préoccupations.

 

Un diocèse propose, pour la journée de mémoire des victimes d’abus dans l’Église, le témoignage d’une ancienne victime sur la résilience. L’affiche qui annonce cet événement s’appuie sur la crédibilité de la CIASE.

Dans un premier temps, l’on pourrait se réjouir que ce diocèse continue son combat contre les abus. Mais si, concrètement, ce combat se résume à une journée de mémoire par an, c’est déjà un premier problème. Si ensuite cette journée, résumée à deux heures ou peut-être trois (une messe et un témoignage) ne fait qu’évoquer la résilience, nous sommes clairement devant un dysfonctionnement. Si en plus, il est fait référence à la CIASE pour crédibiliser la démarche sans assumer le rapport de la CIASE1, il y a perversion.

Le terme de « résilience » a été popularisé par Boris Cyrulnik, enfant juif caché pendant la deuxième guerre mondiale et dont les parents sont morts dans les camps de concentration. Il parle de SON chemin qui est loin d’être celui de tous les rescapés de la Shoah (ce qu’il dit lui-même). Le terme a été repris de façon tordue par la mouvance de développement personnel comme une nouvelle injonction au bonheur. Or, tout le monde n’est pas résilient. La résilience dépend du chemin de chacun, de son histoire, de son caractère, et de bien d’autres paramètres bien plus complexes.

Malheureusement, si l’Église se met à son tour à pervertir ce mot, comme elle l’a fait pour d’autres (pardon, miséricorde, amour…), alors ce n’est plus une journée ou quelques heures pour les victimes, mais bien contre elles. C’est une manière pour les chrétiens de se dédouaner encore une fois de leur responsabilité, de leur inaction, de leur refus de regarder la réalité en face. C’est une façon de dédramatiser les faits et de minimiser la destruction des personnes. C’est une manière perverse de culpabiliser les victimes qui n’y arrivent pas, de les enterrer vivantes dans le jugement des bien-pensants, qui croient savoir alors qu’ils ne l’ont pas vécu.

Relisons l’Évangile. Jésus ne s‘est jamais acharné sur les victimes. Il a dénoncé très clairement, parfois violemment, les pharisiens, les scribes et les prêtres qui faisaient peser de lourds fardeaux sur les épaules des gens, sans jamais porter eux-mêmes la moindre charge.

L’Église s’acharne encore et encore sur les victimes pour alléger sa conscience, se dédouaner de sa responsabilité, cacher sa lâcheté.

« Qu’as-tu fait de ton frère ? », demande Dieu à Caïn. « Qu’as-tu fait de ton frère ? », nous sera-t-il demandé lors du face-à-face. Qu’as-tu fait de ton frère couché sur le bord de la route, rendu inconscient par tant de coups reçus ? L’as-tu pris par la main, l’as-tu écouté, entendu, consolé ? Ou l’as-tu ignoré par ton silence, ton aveuglement, laissant ses plaies s’infecter toujours plus ? L’as-tu pris par la main, l’as-tu aidé à se soigner, à se défendre ? As-tu publiquement pris parti pour lui ou as-tu juste détourné les yeux, de peur du « qu’en dira-t-on », ou des conséquences sur ta propre vie ? L’as-tu accompagné pour porter plainte ou l’en as-tu dissuadé ? As-tu été là dans ses nuits d’angoisse et d’envie d’en finir ? Ou l’as-tu laissé seul, bien au chaud dans ton lit ? As-tu mis de l’huile sur ses plaies ou du vinaigre par tes mots acérés, tes manières de l’ignorer ? L’as-tu amené dans l’auberge ou l’as-tu laisser mourir sur le bord de la route, indifférente à sa souffrance immense ?

Qu’as-tu fait de ton frère abuseur ? L’as-tu défendu, protégé par ton silence, l’omerta ? As-tu participé au mouvement général en le protégeant, dénigrant ceux qui ont osé parler ? As-tu fermé les yeux pour ne rien voir de la violence de ses actes ? Ou as-tu agi ? L’as-tu dénoncé ou aidé à faire la vérité dans sa vie ? L’as-tu aidé à reconnaître ses actes, à se repentir, à laisser couler les larmes de culpabilité pour pouvoir accueillir l’amour de Dieu dans sa vie ? L’as-tu aidé à réparer le mal commis ici sur terre ?

Choisir le thème de la résilience pour la journée de mémoire des victimes d’abus dans l’Église, alors que les victimes de ce même diocèse sont tout simplement ignorées, effacées, tuées, donne le ton. De cette cérémonie, chacun pourra partir rasséréné en se disant que le problème vient des personnes qui ne savent pas se relever toutes seules. Et l’on pourra passer à autre chose. Une évangélisation avec des communautés perverties, reconnues comme abuseuses. Et chacun fermera les yeux, dormira du sommeil du juste. Sauf… les personnes broyées qui se seront prises une fois encore des coups dans l’indifférence générale. Qui seront une fois encore culpabilisées d’être victimes et de ne pas savoir comment vivre. Mais qu’importe si ce jour-là la vie est trop dure, trop lourde, la mort trop tentatrice. Elles n’ont qu’à être résilientes et passer à autre chose.

Suzanne”

1 Le rapport de la CIASE (ciase.fr) explique clairement le processus d’anéantissement des victimes et ne fait pas dans l’apologie dévoyée de la résilience.