« La transformation à laquelle le pape appelle l’Eglise peut bénéficier à tout le corps social »
Véronique Margron o.p. est prieure des Dominicaines de la Présentation pour la province de France et présidente de la CORREF (la Conférence des religieuses et religieux en France). Elle est également théologienne moraliste et ancienne doyenne de la Faculté de théologie de l’Université catholique d’Angers. Elle est l’auteure de nombreuses livres dont le dernier, « Un moment de vérité », analyse la crise que traverse l’Eglise.
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Dans sa Lettre au Peuple de Dieu, le pape François appelle à une transformation ecclésiale et sociale qui passe par un refus de toute forme de cléricalisme. Quel lien faites-vous entre transformation ecclésiale et sociale ?
Lutter contre les abus sexuels, de pouvoir et de conscience, implique le refus du cléricalisme. Cela passe par une transformation des structures et des mentalités qui, en Eglise, sont portées par une théologie et une ecclésiologie. La façon dont une communauté réagit et prend la parole révèle le jeu triangulaire entre mentalités, structures et théologie ou parfois même idéologie. Ainsi, dans l’esprit encore de beaucoup de personnes, le curé est le « patron ». Elles acceptent qu’il parle à leur place et en leur nom et ne contestent pas sa parole. Les relations sont trop à sens unique, il n’y a pas assez de place pour la réciprocité. De telles relations existent également dans la société qui connaît tragiquement aussi des cas d’abus sexuels, de pouvoir et de conscience. La transformation à laquelle le pape appelle l’Eglise peut ainsi bénéficier à tout le corps social. En vivant sa propre transformation, l’Eglise pourrait participer à soutenir la société dans sa lutte contre les abus.
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Quels domaines ou quelles évolutions vous paraissent prioritaires aujourd’hui ?
Le plus important me paraît de consentir à l’esprit critique, à tout ce qui combat la servilité et la passivité. Dans des instituts où il y a eu des abus, la pensée critique n’était pas possible. Ceux qui émettaient une opinion divergente étaient jugés réfractaires ou hérétiques. Le terreau des abus et du silence est là. Il faut oser nommer les choses, appeler un chat un chat, avoir « l’insolence de la parole ». C’est le titre d’un petit livre de Marie Cénec, une pasteure protestante qui a dû se libérer d’une emprise religieuse. La Parole de Dieu rend libre et notre parole peut et doit aussi être une parole libre ; responsable et libre. Avoir un esprit critique et une parole libre implique une bonne formation des laïcs, comme le Concile Vatican II le recommandait déjà. Cela va de pair avec l’acceptation de la pluralité, de l’altérité et du débat. Nos communautés paroissiales doivent pouvoir débattre et apprendre à vivre la contestation comme un lieu créatif, une modalité pour chercher ensemble comment se mettre au service du bien commun. Plus la pluralité et l’altérité sont respectées, plus les plus vulnérables seront protégés, car il y aura de l’espace pour la vigilance. Une communauté paroissiale doit aussi être en capacité de distinguer ce qui relève du sacerdoce ministériel (du prêtre) et ce qui n’en relève pas. Une bonne compréhension et un juste partage des responsabilités permet d’éviter que le « sacré » ne prenne trop de place.
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Quels obstacles ou quels points de vigilance voyez-vous sur ce chemin de la transformation ?
La situation est probablement différente dans les campagnes et dans les villes. Dans les zones rurales, les catholiques ont pris en charge depuis longtemps la vie de l’Eglise, sans que cela soit d’ailleurs particulièrement mis en valeur. En ville, les catholiques peuvent encore se comporter comme des consommateurs. Ils ne sont pas sollicités pour être actifs autrement qu’en rendant service. En même temps, il faut reconnaître que les contraintes professionnelles et familiales font que tous ne peuvent pas être engagés à fond dans leur paroisse. La messe dominicale doit aussi rester un moment de respiration pour ceux qui peinent le reste de la semaine. Il y a donc une vigilance à avoir dans les communautés pour ne pas épuiser les bonnes volontés, ni se laisser créer des bastions de pouvoir. Cela demande une certaine plasticité, de trouver la bonne mesure. Un autre point de vigilance est la formation des séminaristes. Ces jeunes sont souvent, aujourd’hui, issus des mêmes milieux et la question identitaire est importante pour cette génération. Ce n’est pas un reproche, la question est de savoir comment la formation va les déplacer et les accompagner. Elle ne doit pas renforcer le modèle identitaire ou l’entre soi, ni les infantiliser. Des formations communes avec des laïcs et un accompagnement par des laïcs peuvent être des pistes.
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Quel signe ou quelle expérience concrète vous fait dire que cette transformation est déjà en marche ou en tout cas possible ?
Les discours et les actes du pape François sont un signe d’espérance ! Sa vision d’une Eglise pauvre pour les pauvres, hôpital de campagne, à l’écoute des joies et des peines du monde redonne confiance à beaucoup. L’Eglise est déjà plurielle à l’échelle mondiale. Dans beaucoup de parties du monde les chrétiens se sont organisés et ont su transmettre l’Evangile même en l’absence de prêtres. L’exemple de l’Amazonie mais aussi des Eglises qui ont vécu dans la clandestinité, comme du temps de l’URSS, doivent nous instruire sur ce qui est essentiel pour la transmission. Un autre signe d’espérance est l’engagement de tant de laïcs pour cette transformation ecclésiale et sociale. Ils se sentent souvent seuls et ont besoin d’être encouragés. Bon nombre de clercs y sont engagés aussi et selon les lieux, ils sont contrés ou soutenus. Plus il y aura de la place pour la pluralité dans l’Eglise, plus tous ceux qui souhaitent sa transformation se sentiront encouragés. La prise de conscience des laïcs est fondamentale pour la lutte contre les abus en tout genre. Aujourd’hui les catholiques n’acceptent plus des choses qui sont passées inaperçues à d’autres époques. J’ai confiance que leur foi, leur esprit critique et leur liberté de parole aideront à transformer l’Eglise.
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